Zdeněk Košek

Comment crée-t-on les phénomènes météorologiques

(Entretien libre mené par Jaromir Typlt avec des notes de Zdenek Kosek)

1165052445kosek-kresba22J’ai soutenu une théorie qui rend compte de la réflexion des rayons du soleil depuis la surface de la terre et le réchauffement des strates inférieures de l’atmosphère avec l’ascension ultérieure de l’air chaud vers les sphères les plus hautes de l’atmosphère – cela ne représente rien de nouveau en météorologie, c’est déjà connu, cela existe en tant que domaine, en tant que domaine scientifique – mais ma « RÉALITÉ PERSONNELLE » est allée si loin que je pensais que la faune et l’HOMME CRÉENT LES PHÉNOMÈNES MÉTÉOROLOGIQUES par leur comportement, leurs actions, et surtout par la capacité de reproduction, donc par l’acte reproducteur… Je pensais que les nuages étaient un organisme vivant et que les précipitations étaient un orgasme dans le sens que nous connaissons. J’étais convaincu que si un être humain est fait à 70% d’eau, « il a le droit », quand il meurt, de « participer » aux évènements qui se déroulent dans le ciel. Et c’est ainsi, mais pas dans l’immédiat, par des processus physiques et chimiques. Je pensais que plus les gens meurent, plus il y a de précipitations atmosphériques, d’hydrométéores – et que je suis un « travailleur organisateur » de l’ensemble de ce processus …
(Carnet vert, 20/02/1994)

Zdenek Kosek 2015… Cela signifie que l’EAU, CB, ST, etc. ♀, ♂, CERCLE, +, CERCLE … savent respecter aussi l’homme ; doit croire ; … doit… l’HOMME ET AUSSI l’EAU, est la symbiose, par exemple MOI, CUMULONIMBUSGIGANTUS sur -1990 et une petite araignée … EVENTUELLEMENT EAU – SERAIT PLUS RAISONNABLE SI L’HOMM ETAIT PLUS RAISONNABLE
(Carnet jaune, 19/10/1990)

Mille-neuf-cent-quatre-vingt-dixième puissance d’un cumulonimbus géant, équipé d’intelligence et de volonté – d’un nuage orageux qui ressemble à des montagnes navigant dans le ciel – mais la puissance est négative, celle qui diminue. Plus elle est grande, plus elle est réductrice : « araignée » : l’homme nommé Zdenek Kosek, vivant en 1990 la vie d’un des milliers d’habitants de la ville d’Ústí nad Labem au nord de la Bohème.
Il est toujours nécessaire d’avoir ce saut sous les yeux, sinon il n’y aurait probablement pas de sens à continuer.
Le saut d’immense à imperceptible. D’invisible à infini. Et en arrière et de nouveau. Le saut directement à l’intérieur du MOI humain, qui a connu son mépris absolu – si absolu jusqu’à l’impensable –, car on a commencé à voir depuis la perspective de quelque chose d’incroyablement immense et puissant.
Après un tel saut, le MOI se divise en général et se transforme lui-même en disparité écrasante, excessive, insoutenable.

Je me suis senti comme un millier d’étoiles, qui s’assemblent par gravitation. Je rétrécissais littéralement, m’effondrais en moi-même… J’étais peut-être un milliard de personnes. Telle était cette « démilliardition ». Ce n’était pas seulement la bipartition. Dix vies humaines…
(Journal, 13/01/1995)

Dans les cieux de Kosek – ceux qui sont peints – la tension s‘accumule. Ils sont parfois presque terrifiants, lourds, sombres, furieux, cristallisants ou mordants… Ailleurs, le ciel s’introduit par la force dans le processus terrestre, ce qui déjà, en soi, rappelle une tempête balayant tout. Mais par ailleurs, on retrouve au contraire le calme de paysages purement amateurs.

Usti enfumé mériterait l’attention du monde. Tous, presque tous mes paysages concernent les feuilles, du côté nord de Kockov, le CMU (l’Institut tchèque d’hydrométéorologie. HLM – dans lesquels j’ai passé les heures, les jours, les mois, les années, les minutes et les secondes les plus importants de ma vie. PAYSAGE D’HIVER dans une demi-espérance, de couleur verte avec de beaux nuages. Vincent croyait en ma naissance, que je peindrai et que je réussirai. Que je serai le successeur, l’héritier du trône du peintre passionné, sensible, enthousiaste. Que je réussirai à prouver que tout est relié à tout, que rien n’est le fruit du hasard. Que l’homme simple va vivre, travailler, aimer et décider de tout. Qu’un simple mangeur de pommes de terre ou un jardinier ne doit pas toujours être une chèvre ou KOSEK. Le charbon, le temps, LES CENDRES, PEOPLE, LA COULEUR NOIRE, LES CORBEAUX, LES MERLES, LES FAUCONS CRÉCERELLES – LE TEMPS.
(Journal, 13/01/1995)

Corbeaux, merles, faucons crécerelles… L’idée peut paraitre douteuse, mais laissons-nous la suivre pour un moment – si une autre version possible de la biographie de ce MOI, vivant dans une cité appelée Alouette par son existence civile sous le nom de Zdenek Kosek, était la biographie d’un augure ?
Chez les Étrusques et dans la Rome antique l’augur représentait une personne extrêmement respectée, on ne pouvait pas se passer des déclarations avant le commencement d’une bataille, d’une assemblée ou d’un commerce. Tout l’art de leurs soi-disant auspices consistait en la capacité de lire les signes dans le vol des oiseaux.
Aujourd’hui, cela ne veut plus rien dire mais à l’époque, la langue des oiseaux était une réalité. Les gens naissaient avec des dispositions plus ou moins importantes pour cette activité, avec plus ou moins de sensibilité aux phénomènes présents dans le ciel, même avec un talent exceptionnel, ou tout à fait sans lui. C’était souvent une condition essentielle de leur réussite sociale.
Ainsi, c’est l’intérêt accru du comportement des oiseaux et des significations possibles et variés qui a finalement conduit Zdenek Kosek aux soins psychiatriques. En d’autres temps, cela aurait contrairement été considéré comme un don d’une valeur exceptionnelle.

… QUAND LE MOINEAU-PREUX a aperçu, ou tout simplement compris que J’AI COMPRIS… il s’est envolé à peu près à 5–7 mètres d’un panneau publicitaire, de l’un axe du panneau publicitaire vers « LONDRES » à peu près de 20 – 25o…
(Carnet jaune, 19/10/1990)

Des centaines, ou plutôt des milliers de telles notes, cela montre déjà quelque chose de la passion avec laquelle Kosek devait se diriger et développer seul dans le domaine, pour lequel existaient autrefois des règles précises, des règlements, des enseignants, une reconnaissance sociale.
Aujourd’hui, on ne sait plus en combien de parties et selon quels axes diviser le ciel, quelles directions peuvent être considérées comme favorables ou défavorables, en quoi reconnaître un avertissement et en quoi, à l’inverse, reconnaître un appui des cieux… Mais l’homme est peut-être né avec un talent exceptionnel même si pour son époque cela n’a pas le moindre sens. Comment serait-ce d’être né acteur dans une culture qui condamne le théâtre, ou même portraitiste là où il est strictement interdit de représenter un corps humain et ses formes ?
Les compétences sont parfois imposées au détriment de la personne qui les possède.

En 1988, en juillet, quand j’ai regardé par la fenêtre – il faisait chaud, ensoleillé, le ciel était claire – et quand j’ai eu LITTÉRALEMENT le sentiment d’une énergie, d’une évaporation de mon cerveau, des martinets m’attaquaient, picoraient littéralement ma tête. Cela ne m’était jamais arrivé de toute ma vie. Et puis, en 1990–1992, de nouveau. Une fois, ma tête fut attaquée par un Passer domesticus – un moineau domestique. Dans ces années, il arrivait souvent lorsque je descendais en ascenseur, dans le couloir, lorsque j’ouvrais la porte, que derrière celle-ci, il y ait une dizaine, une vingtaine de « Piafs ». Les faucons crécerelles volaient au-dessus de moi. Les prédateurs ont une excellente vue. C’est connu. Entre 1990 et 1992, je considérais les oiseaux de par « leur » sens de l’orientation dans l’espace et le temps, comme des créatures plus intelligentes que l’Homme. Je les ai même salué, je m’inclinais, communiquais avec eux. Les oiseaux ont des ailes, ils peuvent voler. Cela, l’homme ne le peut pas. Mais ils n’ont pas de mains pour écrire, peindre. Pourtant, avec leur bec, ils peuvent « CONSTRUIRE » un nid, un domicile pour eux-mêmes et leurs progénitures.
1991 a été pour moi une année entière à regarder les oiseaux-chanteurs et les rapaces, tant par les fenêtres de mon appartement qu’autour de mon HLM et ailleurs dans la ville. Je pensais que les oiseaux étaient au courant de ma présence, ils me suivaient, me souhaitent la bienvenue et montraient leurs petits. Les faucons crécerelles étaient de la police, etc. etc. J’ai considéré les oiseaux en tant que « connexion » entre le ciel et la terre… Bien sûr, ils avaient leur part d’action sur les phénomènes météorologiques. J’ai observé les antennes de télévision sur la maison d’en face où s’étaient souvent posées les faucons crécerelles, les pies et où se regroupaient d’autres oiseaux. Sur les corniches et sur le toit s’étaient posés les pigeons – et même sur les balcons. Sur la fenêtre de la cuisine, j’ai dessiné des figures que je croyais être un moyen de communication entre les oiseaux et moi.
Les oiseaux « savaient » même ce que je rédigeais à la maison, ce que je faisais à la maison… Une fois, j’ai regardé un faucon crécerelle sur le HLM d’en face. Je me suis dit : « Tu t’es posé sur la tôle du toit sans savoir que je te regarde, tu ne fais pas du tout attention à moi ! » Ensuite, « Tina » (tinontuluc) FALCO s’est envolée, s’est dirigée vers la fenêtre – et juste devant la fenêtre où étaient ces figures, « a fait » une boucle pour survoler l’HLM.

 

Au printemps de 1992, je suis soi-disant devenu normal. Je ne regarde plus tellement les oiseaux et il n’est plus arrivé qu’ils me picorent la tête, le cerveau. Très intéressant…
(Carnet vert, 04/05/1994, et autres)

Pourtant, l’essentiel est que même l’art divinatoire et d’autres sciences occultes ont des règles strictes sur ce qu’il faut chercher et au contraire sur ce à quoi il ne faut prêter aucune attention, ce qu’il ne faut pas distinguer et ne jamais prendre en compte, et encore moins lui donner un sens… Chaque tradition de la sorte apporte à son adepte un certain soutien pour que celui-ci ne soit pas entraîné dans un monde où se trouvent tellement de signes qu’on ne peut plus s’y retrouver.
L’homme n’est pas en mesure de saisir et d’interpréter tout en même temps.
Zdenek Kosek aurait dû être non seulement un disciple des Augures exceptionnelles, mais également de ces prêtres qui lisaient les signes de la foudre. Ses écrits en débordent carrément. Que pourrait-il y avoir de plus facile pour lui – vu sa sensibilité – que d’interpréter pour les autres la nature du dieu et avec quel intention il a envoyé la foudre depuis le ciel selon son type, sa couleur, son orientation et l’endroit où elle a frappé ?
Car le signe céleste s’est manifesté à Zdenek Kosek non seulement dans la forme des nuages ou des survols des oiseaux, mais aussi dans le bruit des avions et dans le sillon qui s’étendait derrière eux.
À un certain moment, le fait que cette couleur qui est apparue au nord-est sur un nuage ensoleillé, correspondait à la couleur de la voiture garée devant la maison avec un certain numéro et, après un bref laps de temps, à la couleur de la veste de l’un des enfants des passants, ne pouvait certainement pas être pris à la légère.

Les couleurs, les nombres, les articles, les phrases. J’ai regardé chaque signe, chaque personne. Donner un avis sur les couleurs de ses vêtements. Ma tête était comme une ruche, une hélice, un carrousel ; la réceptivité, la sensation par l’ouïe, par l’odorat, par la vue, par le goût était si forte que j’en étais littéralement « agacé », lessivé ; « tout » ce qui s’est déroulé, pratiquement, passait par mes circonvolutions cérébrales. Surtout pendant l’année « RADIO » en 1988 (RA), et puis en l’année active de 1989 (AK), l’année révolutionnaire, je me sentais comme si mon cerveau devenait un radar. Littéralement, j’ai senti comme une énergie géante sortant « HORS DE MA TÊTE » par des sortes de rayons, d’ondes, de particules élémentaires. Tout ce que je pensais, calculais, « broyais », sondais, soi-disant imaginais, me revenait sous la forme d’informations provenant d’autres personnes, parce que les gens se rencontrent et parlent, jactent même, parce qu’ils lisent des journaux, recherchent des informations à la télévision par les yeux et les oreilles, écoutent de la musique et des nouvelles à la radio. Au pied de la lettre, j’ai tout su, connu, eu dans le cerveau… Personnellement, je n’ai pratiquement pas écouté la radio, n’ai pas regardé la télévision, n’ai pas lu les journaux… Je me disais : « Pourquoi il me le dit, alors même que je le sais ou que je vais le calculer ? » J’ai pensé : « Pourquoi il me dit ça ? C’est pourtant logique, naturel ! »
Et comme pour moi l’information n’était rien d’objectif, par susceptibilité, je me suis conformé dans la conviction que mon cerveau était une sorte de radar. Que je « pense » à quelque chose puis que cela me reviendra par l’information de quelqu’un d’autre. Je pensais que QUELQU’UN saisissait ma pensée par un appareil, puis conseillait les gens sur ce qu’il fallait dire quand ils me rencontraient. Par exemple, j’ai écrit tout la nuit sur mes « contextes », des réflexions, des pensées. Puis je suis sorti dans les rues et il s’est bien passé ce que j’avais déjà eu dans ma tête. J’ai toujours « MYSTERIEUSEMENT » devancé le temps. Peut-être d’un jour ou deux, d’une heure. Maintenant, je le sais même de cinq « ans » ou « HIVERS ». Je ne sais pas à quoi va RESSEMBLER » l’avenir…
Cela ne concernait pas seulement les informations de la bouche des gens. Mais – par exemple, j’ai « PARFOIS » acheté (jusqu’en 1990, sauf pendant un séjour à l’hôpital) le journal, je le parcourais des yeux et : « Je sais tout ça » me traversa la tête. Seulement, de nouveaux complètements « Inconnus » ont attiré mon attention. Ça ne se rapportait pas qu’à un journal. Des gens ont créé, produit, écrit, peint quelque chose. Même cela fut « CAUSÉ » par moi. Je réfléchissais à peu près de cette façon-là. Mais la vie n’est qu’un mouvement, une dynamique et UNE MÉTÉOROLOGIE. Le désir de « refaire » du monde a été énorme chez moi. Mon corps n’était qu’un petit grain dans les « nuages », les « particules » élémentaires des gens. Mais le cerveau, le cerveau fut un milliard de personnes. Je pensais être le cerveau de la Terre.

(Carnet vert, 04/05/1994 et autres)

C’est le monde comme la science et la philosophie rationaliste ne veulent pas le connaître. Le monde littéralement plein à craquer de sens. Monde déroutant, incontrôlable et irréversible parce que chacun de ces messages est en constante évolution, se complète, s’enchaîne, prolifère dans toutes les directions.
Zdenek Kosek est loin d’être le seul qui n’arrivait pas ici à garder une distance de sécurité, puis qui se sacrifiait lui-même, presque au bord de l’autodestruction, pour la transformation de messages dont le déchiffrement est hors de propos, quand il est même impossible de commencer à les déchiffrer…
C’est justement dans Kosek que ce monde indescriptible a pu rencontrer un interprète unique. Car Kosek a découverts la façon dont les chaîne complexes de ces messages se condensent en des ensembles qui dépassent déjà la limite inférieure de la compréhension et se mettent ainsi en évidence dans notre champ de vision. Les détails nous échappent habituellement, mais de tous les mouvements capturés sur ces cartes se distingue quelque chose qui est même plus que de l’information. Il s’y révèle le cerveau humain lui-même qui essaie en temps réel d’explorer ses activités. Dans un tel spectacle, il est difficile de s’abstenir de toute stupeur…
Kosek a de plus procédé avec une grande assurance, sans doute parce que depuis longtemps il avait déjà vécu avec et dans les cartes. Grâce à cela, même dans le plus violent tourbillon d’associations, il n’a pas perdu un certain sens « scientifique » pour la récapitulation et le marquage.
Enfin, si la carte météorologique montre l’image du moment, le schéma du processus se déroulant à un moment donné et dans un espace donné, Kosek n’a vraiment fait rien de pire qu’un simple élargissement de son plan…

En 1981, j’ai créé, selon ma propre invention se basant sur des documents relevant les précipitations météorologiques à Usti nad Labem, des cartes de précipitations faites avec de l’encre de Chine, des crayons, des feutres-laser. Au début, je n’ai suivi aucune intention artistique par cette activité. C’est guidé par une intuition interne et par passion que j’ai crachée de petites créations… Aujourd’hui, je présente des cartes avec un laps de temps considérable et il s’agit de choses de ma première période météorologique.
La deuxième période, la formation de figures cosmiques et météorologiques, date environ de 1990 à 1992. Dans l’ensemble, un peu plus de 2500 furent crées, parmi lesquelles j’en ai jeté 500 à la poubelle, encore souffrant de psychose – je sais aujourd’hui que c’était une erreur.
(Commentaire d’auteur pour l’exposition, 1999)

Ce n’était pas seulement des « pensées », des enregistrement de pensées, de mes connaissances, des enregistrements de faits que j’ai liés ensembles, mais aussi des enregistrements de sons en de l’autre côté de la fenêtre – le bruit des voitures, les cris des gens, les chiens qui aboient, les chats miaulant, l’explosion des pétards et de munitions diverses par « des aventuriers », les enregistrement du souffle du vent, les coup de vent dans la fenêtre, le sifflement du vent, enregistrement de sons dans le bloc sanitaire : la giclée, les cliquètements, l’eau qui coule, le bourdonnement, le claquement, le martèlement, apparaissaient des TONS boursouflés, gonflés, des tons en bois, métalliques … Tant bien que j’ai entendu et perçu. Ce silence de la solitude me donnait un sentiment d’originalité, d’indépendance, d’exception, mais aussi le détachement des gens, de la vie normale. Et comme j’arrivais jusqu’au SEUL bord de « L’UNIVERS » [c’est enregistré quelque part dans les figures], je pensais que le BLOC SANITAIRE était le noyau de notre SOLEIL, de mon fils PŘEMYSL. Et je capture les tons de l’événement dans le noyau.

Aujourd’hui, cela semble presque incroyable mais j’ai vraiment capturé les faits sur les figures. Dans les années 1990–1992, principalement en 1991, je regardais presque constamment ma montre et inscrivait en figures. En journée, je regardais les oiseaux, j’écrivais et dessinais leurs noms, d’où ils arrivaient, où ils volaient, quelle était leur façon de voler. Par conséquent, je n’inventais rien. Et parce que j’ai soi-disant plané, j’ai dessiné la surface terrestre en chiffres et en lettres, les oiseaux « au-dessous de moi », les nuages au-dessous, les planètes au-dessous de moi, les étoiles au-dessous de moi, des amas d’étoiles, des nébuleuses, des galaxies. Tout cela au-dessous de moi… Quand, par exemple, j’écrivais dans un petit carnet de 10 x 7 cm, j’avais l’impression d’avoir une excellente vue, j’écrivais en lettres minuscules Je me souviens qu’une fois je me suis assis dans un restaurant, j’ai enregistré les évènements autour de moi dans un carnet minuscule, je me précipitais souvent dehors et observais ce qui se passait ; les VOISINS dans le compartiment n’arrivaient pas à comprendre comment je pouvais écrire des lettres, des caractères aussi minuscules… etc. etc… J’avais l’impression que mes yeux étaient terriblement HAUT, que j’observais tout, depuis d’immenses distances jusqu’à la fin de l’Univers, des Univers… Aujourd’hui, il est en principe difficile pour moi d’écrire clairement, de rédiger – intelligiblement pour un mortel « NORMAL » ce qui se passait dans mon cerveau. J’ai le sentiment que ce que J’AVAIS dans ma tête dans les années 1990, et jusqu’en janvier 1992, est maintenant suffisant pour moi jusqu’à la fin de la vie… J’ai été tellement ATTENTIF envers tout, SENSIBLE envers tout, que je percevais chaque VIBRATION, chaque geste d’homme, chaque moucheron, chaque clignotement de lumière. J’ai noté le temps et l’action. Aujourd’hui, je suis surpris d’avoir pu survivre, surtout durant cette année 1991. Mais je sais que le fait d’écrire et de dessiner des figures m’a sauvé la vie. Je percevais et en même temps je ventilais, et cela en faisant des dessins de n’importe quelle manière. La faute n’existait pas pour moi… J’ai soutenu l’avis que tout ce que l’homme fait a un sens. Le sens est une vie… Il est intéressant qu’entre 1990 et 1992, en particulier en 1991, je comprenais tous les gens, tout ce qu’ils disaient, comment ils s’exprimaient ; mais personne, presque personne ne me comprenait, à quelques exceptions près…
(Carnet vert, 06/05/1994)

Ce que Kosek n’arrive presque pas à supporter est la linéarité. Au moment de la création des figures, il n’arrivait à accepter ni la lecture, ni l’écriture, ni une pensée avançant en sens unique. La surface du papier s’est ainsi ranimée devant lui et se chargeait sous ses mains. Elle devenait une membrane active, qui semblait elle-même conduire toutes les spirales, l’effondrement, le déversement et la liaison de l’écriture. Même le changement de pression sur le crayon avait sa signification.
Et même si à l’époque Kosek a essayé de donner à quelques-unes de ses observations la forme d’un « texte continu », il restait dans la ligne du cours établi de gauche à droite et de haut en bas, cette ligne s’est littéralement changée en ligne de front. En gardant une propreté externe – Kosek a travaillé après tout pendant des années comme typographe dans une imprimerie – cela reste plein de détours, de percées, de rebonds, de sursauts, de contrepets, de tensions : les mots se retournent et se décomposent, se combinent ou fusionnent avec des chiffres ou se transforment en symboles astronomiques ou chimique, les abréviations deviennent immédiatement une partie des composites, l’écriture change de taille en sautant vers le haut ou vers le bas du bord de la ligne, et souvent même au sein d’un seul mot, partout les flèches, les points, les soulignés, les barrés, les entourés, les parenthèses alternant les crochets…
À première vue, ce texte est plein de tension. Toutefois, dans son ensemble, il ne peut guère être lu attentivement – est textuellement interminable, comme s’il passait dans un long tirage au travers des pensées, des souvenirs, des observations et des associations… Il ne s’arrête pas. L’impression de monotonie est étonnamment plus fort, plus que le rythme de chaque lieu, et accentuée :

… et les moineaux se le « chuchotent » – non, ce n’est pas LA comparaison PLANÉ, PLANÁ NAD LUŽNICÍ – LIBEREC… LUŽ… LUŽICKÉ HORY, , GORY, HOŘÍ…OH/EŇ…(charade sur les nom des villes et des montagnes tchèques NDT) les moineaux savent tout sur moi, , c’est un fait évident, et encore une fois un FAKT, AUCUN TAKT, mais le rythme du temps, et c’est également TAKT-FAKT = F antenne, l’écriture… et les oiseaux le savent………… bref, ils savent lire et je n’en convaincrai personne…. Mirek, 8 ans, fut fâché mercredi AUTOUR d’une heure et demi, quand j’ai dit que les moineaux pouvaient lire… Je TENAIS dans la main la BROCHURE – « MAFIA À LA TCHÈQUE » Édition MERLE… COUVERTURE en noir et BLANC…
(Carnet jaune, vers 19/10/1990)

Chaque mot – la pression. Dans chaque remarque, la réflexion, le contexte, même quand Kosek blague, on peut ressentir de la peur, si ce n’est pas la terreur, s’il est même possible d’insister assez sur ce que cela signifie. Si on arrive à avertir, ouvrir les yeux et la tête, enfin amener les cerveaux des autres en rotation pour qu’ils soient en mesure de poursuivre ce qui se passe. Tout ce qui se passe.
Les mots sous cette pression gonflent littéralement. La signification commune n’est jamais loin de la signification entre guillemets, puis entre en jeu diverses significations décalées, figurées et terminologiques, des traductions dans des langues voisines, etc. Les mots se rattache rapidement à la base de similitude des sons, de l’étymologie réelle et « folklorique », mais aussi selon le nombre de lettres. Si on dit à peine « osud/destin », il est dit également « au sud », le sud comme le point cardinal avec une quantité illimité d’autres contextes, tandis que le simple « o » rappellera probablement le symbole chimique de l’oxygène -et, à travers l’atmosphère et la respiration, à nouveau n’importe quoi sur la Terre.
Selon Kosek, la langue tchèque sert uniquement aux gens à comprendre parce qu’ils l’entendent constamment mal.

ZAČÁTEK – KONEC. KONEČNÍK – ZAČÁTEČNÍK (Jeu de mot utilisant la ressemblance entre les mots DÉBUT– FIN et RECTUM – DÉBUTANT, NDT). Ça sonne comme une blague mais la langue tchèque est magicienne.
(Carnet vert, 06/05/1994)

Et dans un autre endroit, après d’autres opération linguistique réussie, Kosek note :

Cela fonctionne partout dans le monde et j’ai comme l’impression que les Tchèques en tant que nation s’imposeront TOUJOURS ET PARTOUT.
(Carnet vert, 1994)

Mais cela nous invite littéralement à le faire ! Comment résister quand on offre à l’homme un vocabulaire pour nommer pratiquement tout dans le monde et que l’on peut garder les mots à portée de main à l’aide de deux ou trois dizaines de lettres ?

Cette tentation est encore plus forte pour les numéros. Leur combinaison peut mener vraiment à n’importe quoi. Surtout quand les règles mathématiques peuvent se croiser librement avec ceux de la numérologie magique, on peut donc appliquer la conception sonore et graphique : six à l’envers est neuf, deux est sept, etc. Le chiffre sept peut alors, selon le contexte invoquer les noms de la septième planète, du septième élément du système périodique ou le nom d’une personne née le septième mois.

Si Kosek, au lieu de la météorologie, avait vénéré la mythologie et avait décomposé les mots de l’hébreu et du sanskrit, ses « séries contextuelles » pourraient se retrouver à proximité de la littérature kabbalistique. Ici également, l’accélération des différentes combinaisons étymologiques, phonétiques et numériques conduit à des solutions mystérieuses, destinées à éclairer finalement la naissance du monde lui-même. Le principe n’est vraiment pas très différent, mais les réalités de Kosek, en comparaison avec des séries comme « Adonis, At-ys, As-ar, AD-onai, Adad, daddy, père » ou « air, aer, avir, AR, aor, aigle », n’évoquent quand même pas une véritable impression de mystère :

ST  střed, částic, , jadro, ja dro, der, dři, press, tlač, tlach, tchantos, tos, sot, set, sto, tas, ce que cette mouche , , (charade sur la combinaison linguistique et sonore des mots « centre, élément, noyau, pression… »)NDT
(Carnet blanc, 20/09/1990)

Mais le don de Kosek de provoquer de courtes liaisons comme « Kořenov ženšen », « jičínský ječmen », « popelení Apokalypsa Popokatepetl », « komín Komenský kometa » ou « konec konce rtu » (charade et jeu de mot sur les noms des villes tchèques avec leurs ressemblances sonores « popel/cendre/Apocalypse/Popocatepetl » ou jeu de mot comme « la fin du bout d’une lèvre » NDT) (rend particulièrement compte de sa poésie. Elle aurait certainement été appréciée par James Joyce qui a consacré l’œuvre de sa vie, Finnegans Wake (écrit entre 1922 et 1939) à un tel jeu sans limite avec l’étymologie, qui entraine dans le jeu une quarantaine de langues, les noms de tous les fleuves du monde, des citations de tout genre et un véritable sens de l’humour.
Le déchiffrement de ce livre est maintenant une discipline scientifique à part. C’est exactement le rêve de Kosek. Déjà, la simple idée de l’étendue de ses enregistrements lui donne un sentiment d’impuissance. Même les différents papiers, les photos ou les documents insérés entre chaque page ne sont pas à cette place dépourvu de sens… etc. etc. etc. etc. Est-ce possible de garder tout cela ? D’en disposer ? De le lire ? D’en donner l’explication ?

Non seulement il s’agit d’un grand nombre de lettres, de symboles, de couleurs, de points, de lignes, de traits, de segments de droite, etc. etc. mais ils sont créées presque dans l’espace d’une sphère – juste l’idée d’un cercle de 360 degrés ou d’un hexagone de 720 degrés suscite l’étonnement, mais la sphère ? Combien a-t-elle de degrés ? Si ce n’était que ce que l’on appelle de l’abstraction géométrique, mais c’est aussi une écriture de presque tous les côtés – de l’avant, de l’arrière, de l’envers. Prenez l’alphabet arabe, les caractères hébraïques, les caractères chinois ou japonais – combien de tels caractères contiennent-ils mes enregistrements ? Et si c’était la façon dont les gens communiqueront dans 100, 200 ou 1000 ans – si la planète bleue survit…?
(Carnet vert, 20/02/1994)

Je consommais beaucoup et beaucoup d’énergie, je n’ai pas jugé les repas importants. Je maigrissais. Au cours de la « guérison », plus exactement du traitement, je n’étais presque pas capable de soi-disant penser, je ne faisais que manger, dormir, bref, les besoins de base, mis à part le sexe, étaient les choses principales. Aujourd’hui – deux ans après, je me demande comment j’ai été en mesure d’assembler les figures, les caractères, l’écriture, les surfaces de couleur. J’ai soutenu la croyance que l’homme s’accroche à communiquer par le soi-disant langage, tandis que le mystère de la communication est complètement ailleurs, une autre sorte d’énergie. Je sais que tout est étroitement lié au soi-disant sentiment, qui culmine dans l’orgasme, l’excitation sexuelle – donc le sexe…
Mes enregistrements, je les ai « créés » dans les salles communes, à l’extérieur sur des bancs – et surtout à la maison, et surtout dans la cuisine. Je l’ai appelée la grotte ou « la cuisine de la météorologie », comme on appelle les pôles, donc je l’ai ainsi appelée « kűche »…
Dans quel pourcentage pourrait être évaluée la puissance du cerveau ? Je n’arrivais pas à écrire tout ce qui m’envahissait de par mon hypersensibilité, c’est pourquoi ont été créées de nouvelles et nouvelles figures. Je percevais tout l’univers ou des milliers d’univers, d’espace-temps, de ce phénomène matériel. Je voulais retenir « quelqu’un » dans cette chute dans les profondeurs des contextes, dans le trou noir…
J’étais un extrémiste ou un fou… Il y avait un sens dans le fait de vivre cette période ? Cela se reproduira-t-il ? Comment serai-je actif « artistiquement » dans les années suivantes ? Il me semblait que j’étais « au sommet » – EN HAUT… Il vaudrait la peine de peindre les « figures » choisies sur des toiles plus grandes… Je réussirai à le faire moi-même ? Du point de vue de mon état actuel, je regarde mes enregistrements comme une merveille du monde, et si je ne pouvais pas évaluer mon aventure de deux ans, quelque part, en regardant les figures je me serais posé la question : « Comment cela pouvait-il être engendré par un seul homme, un seul cerveau ? » Maintenant que je me retrouve plus ou moins dans la normalité, je me rends compte que je suis une créature de chair et de sang – un être humain subordonné aux lois de la nature, aux lois de la chimie, à la physique, aux mathématiques, à la loi de conservation de l’énergie, de la matière, à la loi de la gravitation, à la loi des « instincts » et de LA LOI DE LA CONTINUITÉ. Je suis un homme capable de mettre en marche le cerveau, mais aussi un individu capable d’oublier… Mais allumer le cerveau sans travail « par la bouche » ou « par les mains » peut finir de façon à ce que l’homme pense – et beaucoup, mais les autres ne le savent pas, parce qu’il est incapable de communiquer aux autres par le corps sa soi-disant pensée.
(Carnet vert 20/02/1994, journal 13/01/1995 et autres)

Ainsi, donner le dernier mot à la psychiatrie ? En termes d’expérience débilitante, tout cela doit donner l’impression d’être insignifiant, sinon accablant – Quotidiennement, elle entend de parler de découvertes révolutionnaires, de contextes, de communications, de perspicacités et de persécutions. On dirait presque que sa tâche principale est de ne pas en tenir compte. Une écoute attentive, les soins, l’intérêt humain, oui. Mais une indifférence fondamentale pour toutes les interprétations du monde qui lui sont présentées.
La psychiatrie remplit en quelque sorte un rôle de bouclier protecteur de la science.
Cela va de soi que nous ne pouvons pas nous occuper de tout. Voir un événement dans chaque forme de nuage, dans chaque mouvement de la tête d’un oiseau, dans chaque numéro d’une voiture qui passe, dans chaque reflet.
L’art, c’est cela peut-être. L’art peut parfois venir et rappeler quelque chose comme « Ústí enfumée mériterait l’attention du monde. » Nous consacrer quelques moments dans la vie où tout vraiment parle.
Et même la science a tendance à avoir de tels moments. L’anthropologue Claude Lévi-Strauss a consacré un chapitre entier de son célèbre livre Tristes Tropiques (1955) à la description détaillée des transformations progressives du ciel pendant un coucher de soleil. « Puis-je revivre par la pensée des moments fébriles quand j’ai enregistré, le carnet à la main, seconde par seconde l’expression qui me permettrait d’immobiliser ces formes insaisissables et toujours à nouveau renouvelées ? » La passion très « à la » Kosek, complétée de la clause que « même les changements de conscience peuvent être lus à partir de ces constellations duveteuses ».
Beaucoup de scientifiques se mettent à parler des mystères négligés de l’être quand l’occasion se présente. Lorsque le travail de recherche quotidien est mis de côté et que le cerveau reposant dégage de la paix et de la réconciliation.

Cependant, les autres cerveaux, à cause de ces secrets, se jettent dans l’activité tellement excités que finalement ils se perdent de la portée des autres. En même temps, souvent, ils veulent juste rappeler ce que chacun en quelque sorte sait déjà. Mais s’ils voulaient le prouver, ils seraient également perdus.

CALVUS, CAPILLATUS – CHAUVE, DEGARNI, CHEVELU. Qui prouvera que le NUAGE n’est pas un organisme vivant ? Qui prouvera que la formation de nuage (CYCLONE) jusqu’à 1000 km de large, ou un minuscule cyclone CUMULONIMBUS, LARGE D’1 KM, mais qui s’élevée jusqu’à 15 km, est un « phénomène » inconscient ? Quand le vent est fort, l’homme ne peut pas aller contre lui, il doit se soumettre, comme il doit contourner une colline ou une rivière, s’il ne grimpe pas sur la colline ou ne passe pas à la nage la rivière à la nage… même le nuage se comporte d’une façon qui réagit sur les inégalités du terrain par ses « communautés » de gouttes. C’est un processus constant, la réaction continue, un mouvement rapide et constant. Pendant 15 minutes, 16, 20, 30 minutes, LE NUAGE monte dans des hauteurs immenses et crée une « histoire » – la tempête. Le rôle qu’y jouent la pression, la température, le point de rosée, la configuration du terrain… L’homme aussi a une pression, un pouls, de la température, et un « point de rosée ». Mais le temps et l’espace – éphémère, inimaginable… Quand un nuage d’orage épuise son énergie provenant du Soleil et « 2 » (par la vapeur), meurt, se décompose. Cela peut durer 30 minutes, 2 heures, 12 heures, une semaine… Un homme peut vivre 5, 10, 50, 80 ou même 130 ans. Une communauté d’hommes, un groupement, une alliance fonctionnent pareillement – quelqu’un « s’évapore », un autre naît et meurt immédiatement, le deuxième naît et vit plus longtemps. Une vie d’1 heure, de 24 heures, d’une semaine ou de 100 ans. Quelle est la différence ?
(Carnet vert, 04/05/1994)

Quand il s’agit de cela, chacun d’entre nous persévère juste dans sa folie avec cette inconscience, un jour il atteindra la sagesse.
La sagesse, on ne peut pas l’obtenir, il faut la faire entrer… par la volonté !!! La vie attend de nous – et non inversement.
(Automne 2001, publié une première fois dans le livre Zdenek Kosek: Jak se dělá počasí)

Traduit du tchèque par Marie et Colin Dudilieux

Diverses citations et références sont tirées des publications suivantes:
D. Ž. Bor: Abeceda stvoření. Praha 1993. //// Michel Butor: Nástin prahu vnímatelnosti pro Finnegana. Světová literatura 15, 1970, n° 2, p. 160 – 165. //// James Gleick: Chaos: Vznik nové vědy. Brno 1996. Traduis par Jaroslav Sedlář et Renata Kamenická. (Motýlí efekt pages 15 – 36). //// Claude Lévi-Strauss: Smutné tropy. Traduis par Jiří Pechar. Praha 1966. (Pages 41 – 46). //// Jacques Mercanton: Hodiny s Jamesem Joycem. Světová literatura 15, 1970, n° 2, pages 147 – 159.